AU DEBUT




Au début, quand j’écrivais, la grande affaire, pour moi, c’était la structure, c’est-à-dire l’agencement des parties, c’est-à-dire la façon dont les parties se reflétaient dans l’ensemble, c’est-à-dire le message enfui dans cette structure, en filigrane, message qui ne se révèle jamais vraiment, pas même à l’auteur, mais message que l’on pressent, que l’on assimile, confusément, une fois franchi le dernier mot d’un texte - oh, oui, le reste, les autres éléments de l’écriture, style, émotion, personnages, tout cela existaient bel et bien pour moi, mais ce tout cela, je le subordonnais à la structure, et je ne dis pas que mes structures étaient extraordinaires, ni même simplement correctes, il se peut fort bien que la plupart, voire même toutes, des structures de mes textes, étaient cochonnées, ou fautives, ou bancales, mais bon, pour moi, c’était ça la grande affaire, c’était à travers ça que j’envisageais l’écriture et que j’écrivais. Pourquoi un tel souci de la structure ? me demanderez-vous. Est-ce les légos de mon enfance ? est-ce parce que j’ai grandi dans une famille d’informaticiens ? est-ce parce que je suis, de formation, monteur de film ? est-ce parce que, mélomane amateur et peu averti, j’éprouve une nostalgie absurde pour une autre existence, une vie de compositeur, ou même d’interprète, ou simplement l’existence de quelqu’un qui sait, même vaguement, jouer un instrument, qui sait pianoter, ou lire couramment une partition, comme d’autres, comme moi, un livre, et en lisant cette partition entendent la musique éclater dans leur tête, et donc, vivre dans la musique, vivre dans la structure presque pure ? Est-ce pour cela que je voyais toute l’écriture par la structure ? Peut-être, peut-être, quoique, pas tout-à-fait, c’est autre chose, c’est quelque chose d’infime, que je cherchais, là-bas, dans la structure de l’écriture, quelque chose que je n’ai pas trouvé, tellement peu trouvé que je ne pourrais pas le nommer, un quelque chose, d’ailleurs, que je ne cherche plus, pas par lassitude, mais parce que maintenant, ce qui m’intéresse, dans l’écriture, au théâtre ou ailleurs, c’est, plus prosaïquement, non pas le style, même pas ça, non, c’est la voix des personnages, c’est leurs tons, leurs rythmes, leurs choix de mots, mais aussi leurs erreurs, leurs hésitations, leurs mensonges. Je veux entendre leur voix, même si c’est ma propre voix, même si c’est moi le personnage qui parle. Je veux entendre le grain de la parole du personnage. Je veux pouvoir fermer les yeux et l’écouter. Je veux que sa voix me hante.

Philippe Blasband